Éloge de la lenteur
- Jean-Jacques Terrin
- 27 mars
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Dernière mise à jour : 31 mars
Jean-Jacques Terrin, 16 janvier 2025, 16 janvier 2025
C’est dans la rue, espace urbain par excellence, que se construit l’altérité[1], et c’est le piéton qui en donne la mesure. La marche, cellule souche de la mobilité[2], est par nature intergénérationnelle et polymorphe, car tout le monde est piéton à un moment ou à un autre. C’est pourquoi marcher devrait être un mode de déplacement urbain privilégié et prioritaire. Pourtant, le trottoir est surtout considéré comme un moyen de mettre de l’ordre dans la ville[3]. Il contribue à réguler la circulation entre les divers modes de transport, alors qu’il ne devrait pas relever d’une logique de flux mais de séjour[4]. La marche conditionne en effet la qualité de l’espace public, son urbanité et ses aptitudes au partage.

Le trottoir est de plus en plus confisqué, encombré et réduit à la portion congrue.
Ces dernières décennies, des zones entières ont certes été réservées au piéton, surtout dans des centres-villes de plus en plus figés en musées ou en espaces marchands. Les espaces à partager entre différentes mobilités sont plus complexes à mettre en œuvre bien qu’ils répondent mieux à la réalité urbaine. Même si on écarte les véhicules individuels, la circulation motorisée - riverains, transports en commun, livraisons, déménagements, véhicules de secours et d’entretien - reste en effet indispensable, de même qu’est inévitable la coexistence avec les vélos. Il faut également considérer que la rue s’équipe pour répondre aux exigences d’un piéton désormais inséparable de ses prothèses intelligentes. La bordure de trottoir[5] est devenue un élément urbain sur lequel se branchent nombre de services via leurs interfaces numériques[6]. Il faut également compter sur les salles d’attente des commerces[7] et sur les terrasses qui se sont multipliées et étendues depuis la récente pandémie. Sans oublier une forte incitation à la privatisation de l’espace public, comme c’est déjà le cas dans certains quartiers de Londres et de Hambourg. Demain, les décideurs publics inventeront une forme de délégation de l’espace public[8].
CEP53 - Place aux piétons
[1] Tzvetan Todorov, 1989, Nous et les Autres. Paris: Seuil.
[2] Georges Amar, 2004, Mobilités urbaines, éloge de la diversité et devoir d’invention, Éditions de l’Aube.
[3] Virginie Milliot, Remettre de l’ordre dans la rue. Politiques de l’espace public à la Goutte‑d’Or (Paris), Ethnologie française, vol. 45, no. 3, 2015, pp. 431-443.
[4] Anne Faure, https://www.lejournaldugrandparis.fr/a-faure-il-faudrait-adopter-un-plan-pietons-sur-le-modele-du-plan-velo/
[5] Isabelle Baraud-Serfaty and Nathan Benamouzig, “The new value of curbs”, Articulo - Journal of Urban Research [Online], 22 | 2021, Online since 03 February 2023, connection on 15 January 2025. URL: http://journals.openedition.org/articulo/5423; DOI: https://doi.org/10.4000/articulo.5423
[5] Isabelle Barrault-Serfaty, 2020, Le trottoir, nouvel actif stratégique, Futuribles, 436, pp. 87-104
[7] Selon l’expression de Mathieu Chassignet, Ademe.
[8] Véronique Bédague, directrice générale déléguée du Groupe Nexity, Avec le recul inéducable de la voiture, il faut imaginer ensemble une refonte de l’espace public urbain, Le Monde, 12 février 2021.
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